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Saint-John Perse

 

Oiseaux

Nrf Gallimard 1975

 

…Quantum non milvus oberret .

(…Plus que ne couvre le vol d’un milan.)

Aulus Persius Flaccus[1]. Sat. IV, 5, 26

 

 

Chapitre 13, le dernier, signé à Washington en mars 1962

 

Oiseaux, Lances levées à toutes frontières de l’homme !...

 

 

L’aile puissante et calme, et l’œil lavé de sécrétions très pures, ils vont et nous devancent aux franchises d’outre-mer, comme aux Echelles et Comptoirs d’un éternel Levant. Ils sont pèlerins de longue pérégrination, Croisés d’un éternel an Mille. Et aussi bien furent-ils « croisés » sur la croix de leurs ailes… Nulle mer portant bateaux a-t-elle jamais connu pareil concert de voiles et d’ailes sur l’étendue heureuse ?

 

Avec toutes choses errantes par le monde et qui sont choses au fil de l’heure, ils vont ou vont tous les oiseaux du monde, à leur destin d’êtres créés… Où va le mouvement même des choses, sur la houle, où va le cours même du ciel, sur sa roue – à cette immensité de vivre et de créer dont s’est émue la plus grande nuit de mai, ils vont, et doublant plus de caps que n’en lèvent nos songes, ils passent, nous laissant à l’Océan des choses libres et non libres…

 

Ignorant de leur ombre, et ne sachant de mort que ce qui s’en consume d’immortel au bruit lointain des grandes eaux, ils passent, nous laissant et nous ne sommes plus les mêmes. Ils sont l’espace traversé d’une seule pensée.

 

Laconisme de l’aile ! Ô mutisme des forts…Muets sont-ils, et de haut vol, dans la grande nuit de l’homme. Mais à l’aube, étrangers, ils descendent vers nous : vêtus de ces couleurs de l’aube – entre bitume et givre – qui sont les couleurs même du fond de l’homme…Et de cette aube de fraîcheur, comme un ondoiement très pur, ils gardent parmi nous quelque chose du songe de la création.

 

[1] Poète satirique romain, né à Volaterra (Etrurie) le 4 décembre 34 ap. J.-C., mort le 24 novembre 62

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